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Le licenciement d’une salariée enceinte par l’obligation de sécurité de l’employeur
Le cas de…
Madame FINANCIER ne sait plus quoi faire : Madame MERINGUE est enceinte et elle est insupportable.
Elle hurle littéralement sur ses collègues, prends des pauses à rallonge, se met à pleurer en plein milieu du service, imposant à ses collègues occupés à une autre tâche de prendre le relais.
L’équipe est à bout, la tension est palpable.
Madame FINANCIER en est à se demander lequel de ses salariés va craquer en premier.
Monsieur FRAISIER est déjà sous anxiolytique… Il lui a écrit un long courrier pour lui exprimer la souffrance dans laquelle il se trouvait du fait du comportement de Madame MERINGUE.
D’autres se sont plaints directement à Madame FINANCIER.
Si bien que, malgré toute l’affection qu’elle porte à Madame MERINGUE, et sa compassion face à sa situation, elle envisage de rompre son contrat de travail !
Mais Madame FINANCIER le sait, on ne rompt pas le contrat de travail d’une femme enceinte pour n’importe quel motif.
Elle se dit tout de même que le comportement de Madame MERINGUE relève de la faute grave, tant elle ne respecte plus aucune règle et au regard des répercussions sur l’activité.
Avant d’enclencher la procédure disciplinaire, elle décide de consulter Maître CODE DU TRAVAIL ANNOTÉ : on n’est jamais trop prudent.
Comme souvent avec Maître CODE DU TRAVAIL, la réponse est négative : un licenciement pour faute grave dans ces circonstances pourrait être considéré comme en lien avec l’état de grossesse de Madame MERINGUE, et encourrait la nullité.
En revanche, si les collègues de Madame MERINGUE voient leur santé psychologique impactée par son comportement, Madame FINANCIER doit prendre des mesures pour les protéger. Il met en avant le respect de l’obligation de sécurité.
Il conseille donc à Madame FINANCIER, dans un premier temps, de demander une visite médicale avec le médecin du travail au bénéfice de Madame MERINGUE, mais également des autres salariés en souffrance.
Il se pourrait que Madame MERINGUE soit déclarée inapte si son état de santé est devenu incompatible avec l’exercice de ses fonctions, ce qui pourrait justifier la rupture du contrat de travail.
Dans le cas contraire, et si aucun aménagement de poste n’est possible, il faudra envisager un licenciement pour impossibilité de maintenir le contrat de travail en raison des risques psycho-sociaux générés par la situation et la protection de la santé de la salariée et de ses collègues.
Madame FINANCIER se dit que, décidément, rien n’est jamais simple avec cet avocat.
L’article L. 1225-4 du code du travail interdit à l’employeur de rompre le contrat de travail d’une salariée :
-lorsqu’elle est en état de grossesse médicalement constatée ;
-durant son congé de maternité ;
-pendant les dix semaines qui suivent l’expiration du congé de maternité.
Depuis la loi du 7 juillet 2023 n° 2023-567, cette protection s’étend aux femmes victimes de fausse couche : aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’une salariée pendant les 10 semaines suivant une interruption spontanée de grossesse médicalement constatée (« fausse couche » ayant eu lieu entre la 14e et la 21e semaine d’aménorrhée incluses) – C. trav., art. L. 1225-4-3.
Il existe toutefois deux exceptions à cette interdiction de licencier :
– la faute grave de la salariée, non liée à son état de grossesse ;
– l’impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse.
La lettre de licenciement doit mentionner précisément l’un de ces deux motifs, à peine de nullité du licenciement prononcé (Cass. soc., 21 janv. 2009, n° 07-41.841 ; Cass. soc., 3 nov. 2016, n° 15-15.333 ; Cass. soc. 7 déc. 2017, n° 16-23.190).
La faute grave sans lien avec l’état de grossesse doit se rapporter à un manquement de la salariée dans l’exercice de ses fonctions telle que le non-respect d’une procédure interne (Cass. soc., 13 déc. 2006, n° 05-45.325).
En revanche, ne pourront pas être reprochés à la salariée des comportements pouvant être rattachés à son état de grossesse comme la fatigue ou l’irritabilité (Cass. soc., 8 mars 2000, n° 97-43.797).
L’impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse peut résulter de difficultés d’ordres économiques ou encore de l’inaptitude à tout emploi de la salariée. Il doit s’agir de circonstances extérieures, indépendantes du comportement de la salariée.
Dans certaines circonstances, l’obligation de sécurité de l’employeur peut constituer un motif de licenciement de la femme enceinte.
C’est ce qui a été jugé dans une affaire où des membres de l’équipe d’une salariée arrêtée pour congés maternité et maladie, avaient dénoncé une dégradation de leurs conditions de travail et l’existence de risques psychosociaux en lien avec le retour à son poste de l’intéressée.
Les salariés invoquaient des manquements et erreurs de sa part, générant pour eux des surcharges de travail et la crainte de perdre des clients. L’inspecteur du travail avait relevé que ces salariés présentaient une inquiétude réelle, que dans ces conditions il semblait improbable d’envisager un retour de la salariée sur son ancien poste, et que cette dernière serait elle-même en danger au sein de l’équipe.
L’employeur avait proposé à la salariée de rejoindre un autre poste conforme à ses compétences professionnelles et à son niveau hiérarchique dans un autre établissement, ce qu’elle avait refusé.
Dans ces circonstances, l’employeur ne pouvait maintenir la salariée à son poste de travail sans risques psychosociaux tant pour ses collègues que pour elle-même.
La décision de licencier l’intéressée n’était donc pas liée à son état de grossesse, l’employeur se trouvant dans l’impossibilité de maintenir le contrat de travail.
Cass. soc. 27 mai 2025 n°23-23.549 FS-B