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Astreinte ou temps de travail effectif : tout dépend de l’intensité des contraintes
Le cas de…
D’habitude, le LAMA JOYEUX baisse le rideau au mois d’août. En effet, les clients désertant la région parisienne, la rentabilité n’est pas au rendez-vous.
Mais au détour d’une conversation avec Madame CHOCOLATINE, une amie de longue date, boulangère elle-aussi, Madame FINANCIER a appris que cette dernière avait souvent des commandes exceptionnelles au mois d’août : gâteau d’anniversaire, de mariage, etc.
Madame FINANCIER y voit une opportunité de rentabiliser le mois d’août.
Mais elle ne veut pas travailler pendant ses vacances : objectif déconnexion totale !
La période ne nécessitera que des prestations ponctuelles.
Madame FINANCIER a donc une idée géniale : elle va solliciter Madame MERINGUE, afin qu’elle soit d’astreinte 3 jours par semaine pendant cette période pour gérer les commandes exceptionnelles !
Madame MERINGUE pourra s’installer dans l’appartement situé au-dessus de la boulangerie et ainsi vaquer à ses occupations dans l’attente de commandes.
La salariée accepte. Elle se dit que la période sera calme, qu’elle pourra à la fois se reposer et avoir un petit complément de revenu.
Finalement, tout ne se passe pas comme prévu.
Les commandes sont bien plus nombreuses que prévues, Madame MERINGUE est sans cesse sollicitée, si bien qu’elle ne peut aucunement bénéficier de temps pour vaquer à ses occupations.
Aucun repos pour Madame MERINGUE, au contraire !
Elle appelle Madame FINANCIER : soit elle lui rémunère l’ensemble des heures passées « en astreinte » comme du temps de travail effectif, soit elle ferme la boutique avant même la fin du mois d’août et saisit le Conseil de prud’hommes pour solliciter des rappels de salaire et dommages et intérêts.
Madame FINANCIER n’est pas d’accord, Madame MERINGUE n’était pas soumise au rythme de travail habituel, et entre deux commandes, elle était dans le logement à l’étage, n’exécutant ainsi aucune prestation de travail !
Pourtant, Madame MERINGUE a raison, malgré une clientèle et des commandes moindre qu’en temps normal, les sollicitations étaient si fréquentes qu’elle n’avait en réalité aucunement le temps de se consacrer à sa vie personnelle pendant les jours d’astreinte.
La preuve sera facile à rapporter : carnet de commande et tickets clients démontreront l’intensité des contraintes subies pendant cette période.
Madame FINANCIER a tout intérêt à revoir sa position si elle veut s’éviter un contentieux prud’homal coûteux qui viendrait gâcher le bénéfice de cette période estivale de déconnexion !
Selon l’article L. 3121-9 du Code du travail l’astreinte est une « période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise ».
Dans l’attente d’une demande d’intervention, le salarié peut vaquer librement à des occupations personnelles : les temps d’astreinte, à l’exception des temps d’intervention, ne constituent donc pas du temps de travail effectif et n’ont pas à être rémunérés comme tel.
Le premier critère permettant de retenir la qualification d’astreinte est que le service d’astreinte soit mis en place par l’employeur. L’organisation instaurée par des salariés, de leur propre initiative, imposant des temps d’activité hors horaires de travail ne peut être considéré comme des temps d’astreinte (Cass. soc., 8 sept. 2016, n° 14-26.825).
Le deuxième critère tient au lieu : les salariés ne doivent pas effectuer leur permanence sur leur lieu de travail.
Toutefois, l’astreinte peut s’effectuer dans un logement de fonction, même lorsque celui-ci est situé au sein de l’entreprise (Cass. soc., 31 janv. 2006, n° 05-41.583 ; Cass. soc., 31 mai 2006, n° 04-41.595).
Le troisième critère s’intéresse à la liberté d’action du salarié pendant la période de permanence : il doit pouvoir se livrer à des occupations personnelles. Pour apprécier si ce critère est rempli ou non, les juges du fond sont amenés à s’interroger sur l’intensité des contraintes auxquelles le salarié est soumis pendant la période en question.
L’employeur doit se demander si son salarié a « objectivement et très significativement la faculté de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts » (CJUE, 9 mars 2021, n° C-344/19).
Ainsi, des dépanneurs autoroutiers devant intervenir dans un délai très court auprès des usagers restent, en réalité, à la disposition de leur employeur et le temps d’astreinte doit être requalifié en travail effectif (Cass. soc., 26 oct. 2022, n° 21-14.178 ; Cass. soc., 21 juin 2023, n° 20-21.843).
Il en est de même d’un employé d’hôtel effectuant en moyenne quatre nuits d’astreinte par semaine dans une chambre mise à sa disposition et appelé à intervenir très fréquemment pendant ces périodes pour permettre aux clients d’entrer dans l’établissement. L’intensité des contraintes implique la requalification de toute la période de garde en temps de travail effectif.
Cass. soc., 14 mai 2025, n°24-14.319 F-B